Lorsque le Ciel et la Terre ne formaient qu’un seul tout, l’Abeille, comme la mouche et tous les êtres animés, vivait avec le Créateur. Quand Ndriananahary eut séparé le Ciel de la Terre, il demanda à l’abeille de choisir le travail qui devait lui assurer sa nourriture quotidienne.
L’Abeille répondit :
– Je ne sais que tresser de fines nattes avec lesquelles je fais mes rayons : cela suffit à mon activité et je gagne facilement ma vie. Ndriananahary lui laissa ce moyen d’existence, mais il recommanda à l’industrieux insecte de toujours travailler consciencieusement. L’Abeille se mit à la besogne et fabriqua tant et tant de nattes qu’en très peu de temps elle réalisa de gros bénéfices par la vente de ces objets utiles. Son trafic prospéra tellement que beaucoup d’animaux voulurent l’imiter: personne ne réussit à l’égaler, car nul n’avait l’art et la patience de l’habile ouvrière.
Un jour, l’Abeille se rendit au Ciel pour demander à Ndriananahary où elle devait déposer le miel qu’elle fabriquait.
Le Créateur lui répondit :
– N’as-tu pas le talent de tresser de jolies nattes ! Fais une petite maison avec de nombreux compartiments ; tu habiteras les uns et tu y déposeras tes œufs, les autres te serviront de magasins de dépôt pour conserver ton miel.
Munie de ces conseils l’Abeille revint sur la terre et se mit aussitôt à l’œuvre. Elle eut vite fait de construire une ruche dans le tronc creux d’un vieil arbre : elle divisa l’intérieur en plusieurs étages garnis d’une infinité de cellules. Quand tout fut terminé, elle alla butiner de fleur en fleur : après avoir aspiré le suc de chacune d’elles, elle venait le déposer dans les compartiments vides destinés à cet usage.
Elle eut bientôt une grande quantité de miel : presque tous ses alvéoles en étaient remplie. Mais cette nouvelle industrie ne lui avait pas fait négliger le tressage des nattes auquel elle consacrait tous ses loisirs. Aussi en était-elle toujours abondamment pourvue.
Les hommes affluaient chez elle, non seulement pour acheter des nattes, mais surtout pour se procurer le bon miel odorant qu’elle fabriquait. Son commerce devint si florissant et sa maison si bien achalandée que l’abeille s’enrichit rapidement et réalisa en peu de temps une énorme fortune par la vente de ses produits.
Mais sa prospérité croissante engendra bien des jalousies et lui créa nombre d’envieux. Hélas ! la jalousie et l’envie ne tardèrent point à se changer en haine féroce. Au lieu de lui acheter, comme par le passé, son miel et ses nattes, on ne venait plus chez l’Abeille que pour lui ravir, par force ou par ruse, le produit de son minutieux travail et de sa patiente industrie.
L’Abeille s’en plaignit au Créateur et sollicita aide et protection. Mais Ndriananahary ne voulut pas lui accorder le secours de son bras puissant qui, d’un geste, pouvait réduire en poussière tous les ennemis de l’infortunée bestiole. Il répondit donc à l’Abeille :
– Mon impartialité me commande de ne pas intervenir en ta faveur, bien que tu sembles avoir raison ; je suis trop loin de toi pour voir ct apprécier le mal qu’on peut te faire et pour te porter secours à chaque fois que tu seras en danger. Tu sais bien que je ne dois plus m’occuper des différends qui pourront exister entre les animaux. Défends-toi donc comme tu le pourras, je t’en donne le droit.
Désolée de n’avoir obtenu que cette demi-satisfaction et de n’être pas protégée d’une façon plus efficace contre les tentatives hardies de ses agresseurs, l’Abeille redescendit tristement sur la terre et trouva, ô malheur ! tous ses rayons saccagés et dépourvus de leur miel. En son absence, sa demeure avait été pillée et ses biens enlevés. Devant le désespoir de l’Abeille, Ndriananahary, apitoyé, lui dit :
– Ne te désole pas outre mesure, tu pourras bientôt réparer tes dégâts et recommencer ton travail, car tu es habile ouvrière. Pour ta défense, je te donnerai une arme acérée, qui, si elle ne fait pas fuir les voleurs, te servira à leur faire des piqûres brûlantes et à leur causer des douleurs lancinantes ; cela les fera hésiter à venir te soustraire le fruit de ton labeur.
Et il la munit d’un aiguillon défensif. Autrefois, le commerce était inconnu : ce fut l’Abeille qui la première, le pratiqua et l’apprit au monde habité. C’est pourquoi, conclut le narrateur, l’homme enlève le miel de force, malgré les protestations de l’abeille, et qu’il n’a comme punition, que les piqûres de la bestiole impuissante de se défendre autrement.
Contes et légendes de Madagascar de Galina Kabakova, Aux origines du monde, Flies France Éditions (30 avril 2015)
Mot clé : sophrologie, cohérence cardiaque, psycho-thérapie, relaxation, bien-être, gestion du stress.